Svetlana Alexievitch, La supplication (1997) : une femme, son amour pour un homme qui se décompose physiquement, irradié comme il le fut lors de l’extinction de l’incendie de Tchernobyl.
Jean-Luc Parant, Les Yeux quatre, L’Envolement des yeux (2006) : le règne humain adossé poétiquement à l’ordre animal, le premier tendu hors de soi par le désir d’infini mais enserré pourtant dans un corps fini, le second tourné vers soi, au plus près d’une immanence que l’on peine à imaginer et qui pourtant nous tente et nous tourmente, nostalgiques peut-être que nous sommes de cet état moins proche de la brûlure.
Deux textes, deux voix (masculine et féminine), deux œuvres (une série de « coussins » aux contours flous, un triptyque rigoureusement encadré) : embrassement.
Elle s’imprègne des déchirures du monde. Compassion, incompréhension, dégoût parfois (moral, surtout), écho d’une douleur révélatrice de l’espèce humaine. Pourtant émerveillement devant le corps, ingénierie biologique et machine désirante, jusque dans ses dérèglements.
La langue est lien mais son filet retors. Aux enroulements séducteurs de Parant répond la prose sèche et anatomique d’Alexievitch, qui ne porte qu’encadrée d’un silence et d’un cri. Défaillance.
Réel : fragmentation, bribes, impressions fugitives, tensions et distensions, touchers, évanouissement, attraction, répulsion, déchirement (encore), respiration, souffle, plus de souffle.
Travail d’entomologiste : accumuler, répertorier, inventorier, tenter de classifier, s’y perdre, opérer les lignes de partage, renoncer parfois… et se plaire, surtout, dans la profusion des espèces familières fréquentées quotidiennement. Presque toucher du doigt la texture du rêve et du cauchemar incarnés.
Travail d’arpète : piquer, coudre, broder, minutieusement, au prix des souffrances du corps et de la patience des heures. Impression de douceur, accueil du chaland, attirance pour les formes, les couleurs, les matières qui confinent à l’érotisme, non sans heurts.
Alchimie : fondre ensemble le mort et le vivant, l’amour et la haine, la joie et la tristesse, l’homme et la femme, leurs voix, leurs corps, la chair et l’os, le liquide et le solide, le dedans et le dehors, l’humain et l’inhumain : subvertir les lignes de démarcation et déjouer les frontières, pour qu’enfin advienne, un jour peut-être, le premier vivant qui transcende les règnes et n’ait pas à payer si cher sa finitude.
Deux voix s’éteignent, paroles s’envolent, silence. Restent les œuvres, en écho l’une à l’autre.